Pour la nuit du Nouvel An, le bourgmestre d’Anderlecht a pris une mesure inédite en Belgique : un couvre-feu ciblant spécifiquement les mineurs dans le quartier de Cureghem.
Cureghem, quartier populaire d’Anderlecht, souffre d’une réputation dévalorisante, nourrie par des représentations médiatiques, politiques et sociales qui le décrivent comme un lieu dangereux, sale et marqué par la délinquance. Ces perceptions se cristallisent autour des jeunes du quartier, souvent désignés comme responsables des désordres sociaux et du sentiment d’insécurité qui en découle (Espace de libertés, décembre 2020, n° 494).
Encore une fois, nos enfants sont stigmatisés, on parle d’eux comme d’un problème à gérer ou d’une menace à contenir.
L’ordonnance du bourgmestre soulève de nombreuses interrogations sur son caractère discriminatoire et profondément stigmatisant.
Le bourgmestre ordonne :
- Article 1er : L’interdiction de la présence jeunes de moins de 16 ans non accompagnés par un tuteur légal, dans certaines parties des espaces publics du territoire communal d’Anderlecht, à savoir le périmètre ci-annexé.
- Article 2 : § 1er. La présente ordonnance sera transmise à Monsieur le Chef de corps de la Zone de police. § 2. Les services de police sont chargés de contrôler et d’assurer le respect de la présente ordonnance, au besoin en faisant usage de la force. § 3. Le non-respect de la présente ordonnance entraînera l’arrestation administrative des mineurs de moins de 16 ans non accompagnés par un tuteur légal.
- Article 3 : La présente ordonnance de police entre en vigueur à partir de 19h00 le 31 décembre 2024 jusque 05h00 du matin le 1er janvier 2025.
- Article 4 : La présente ordonnance sera affichée aux valves de la Maison communale.
- Article 5 : […] ». En annexe se trouve la carte suivante :
Nous avons exprimé notre inquiétude concernant la sécurité de nos enfants, car l’ordonnance ne fait aucune mention de leurs droits fondamentaux. Nous pouvons souligner :
- L’absence de mention de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe fondamental du droit international.
- Le silence sur l’obligation de considérer la détention de mineurs comme une mesure de dernier ressort.
- Le manque de garanties contre les pratiques humiliantes, comme les fouilles à nu ou le menottage.
- L’absence de dispositif clair pour informer rapidement les parents en cas d’arrestation.
La seule chose que le bourgmestre prévoit c’est d’ordonner à la police d’arrêter des enfants et les autorise à faire usage de la force.
Une requête en annulation et une demande de suspension en extrême urgence a été introduite par des parents d’Anderlecht.
Les parents dénoncent l’ordonnance sur plusieurs aspects :
Disproportion et alternatives :
- Ils jugent le couvre-feu disproportionné, notamment parce que le Nouvel An est un événement prévisible, et estiment que des mesures moins restrictives (interdiction des engins pyrotechniques, confiscations) suffiraient.
- Ils critiquent l’absence de proportionnalité entre la mesure et les troubles à l’ordre public qu’elle entend prévenir.
Violation des droits des mineurs :
- L’ordonnance vise directement les mineurs sans tenir compte de leur intérêt supérieur, pourtant garanti par la Constitution et la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE).
- Ils dénoncent l’usage de l’arrestation administrative comme une mesure disproportionnée et contraire à l’article 37 de la CIDE, qui stipule que la détention doit être un dernier recours.
- Ils pointent des exemples absurdes (comme l’interdiction pour un mineur d’aller chercher du pain ou d’être accompagné par un proche non légalement responsable).
Discriminations :
- L’ordonnance est perçue comme discriminatoire pour cibler uniquement les jeunes de moins de 16 ans sans justification sur la différence avec d’autres tranches d’âge.
- Ils considèrent qu’elle discrimine un quartier défavorisé à population majoritairement racisée, renforçant des stéréotypes associant ces jeunes à des troubles.
Non-respect des lois existantes :
- La formulation de l’ordonnance impose des obligations rigides aux forces de police, comme l’arrestation automatique de tout mineur en rue, sans considération de son comportement individuel.
Le Front de Mères a soutenu les parents lors de l’audience publique du 30 décembre 2024 à Bruxelles.
Suite à la demande de suspension introduite par les parents, le Conseil d’État a décidé que :
- Le bourgmestre de la commune d’Anderlecht est mis hors de cause.
- La demande de suspension d’extrême urgence est rejetée.
- L’exécution immédiate du présent arrêt est ordonnée.
Nous continuons de nous opposer à cette surenchère sécuritaire qui risque de s’installer au détriment de la sécurité de nos enfants.
Un petit calcul politique pour Cumps, un grand saut dans le fascisme.
Ou comment de petit calcul politique et le non respect de l’état de droit permettent au fascisme de faire un pas de géant.
Notre mobilisation portait sur la violation et l’absence de garantie des droits fondamentaux de nos enfants ainsi que de la stigmatisation qui en découlait.
Nous avons été confortés dans notre démarche par le fait que l’auditeur du Conseil d’état a bien déclaré que cette ordonnance est illégale, discriminatoire et disproportionnée et que le bourgmestre ne pouvait pas prendre cette ordonnance seul sans passer par le Conseil Communal.
La raison pour laquelle le Conseil d’état n’a pas fait annuler celle-ci est que les requérant ne sont pas parvenus à prouver le caractère urgent du préjudice subi.
En Belgique, une ordonnance peut-être déclarée illégale et rester d’application.
Au pays du surréalisme, rien n’est impossible.
Nous n’allons pas réécrire le film mais nous tenons à partager quelques points importants pour sortir du voile sécuritaire mis en avant par le bourgmestre.
En jouant avec les notions de sécurité et d’inquiétude pour les enfants, le bourgmestre déplace le curseur dans le champ de l’émotion ou les notions de droit et de raison sont mises de côté. Alors que le véritable débat porte sur une question du droit, du respect et de la prise en compte des droits fondamentaux de nos enfants.
Il faut souligner que lorsqu’un État met en place des lois d’exception uniquement pour un groupe désigné cela porte un nom. Et ce nom est fascisme.
Nous prenons acte de cette décision et nous continuerons inlassablement à lutter contre les discriminations et les violences que subissent nos enfants.